Importante "enquete" do jornal Le Monde, sobre o "não francês" à Constituição européia, um ano depois. Reconstituição das diversas etapas da construção européia desde o final da guerra fria.
Enquête
Le rêve européen confisqué
LE MONDE | 26.05.06 | 13h19 • Mis à jour le 26.05.06 | 15h55
e fut non. Un non franc et massif. Le 29 mai 2005, 54,67 % des Français ont rejeté la Constitution européenne. Parce qu'ils ne se reconnaissaient plus dans cette Europe bâtie avec l'Allemagne au sortir de la guerre. Et parce que, "dans cette grande Europe, on ne se sent pas chez soi", comme le déplore le chrétien-démocrate allemand Karl Lamers.
Le premier à souligner combien l'élargissement de l'Union européenne (UE) à 25 membres allait changer la nature de l'Europe fut sans doute Donald Rumsfeld. Début 2003, le secrétaire américain à la défense s'en prend à la France et à l'Allemagne, qui s'opposent à l'attaque de l'Irak. Elles sont la "vieille Europe". Les autres gouvernements du Vieux Continent, eux, volent au secours de Washington. L'élargissement de 2004 n'a pas encore eu lieu, mais la "nouvelle Europe" s'impose déjà : atlantiste, libérale et assez forte pour mettre en minorité le couple franco-allemand.
Surtout, pour les Français en proie au chômage, elle n'est plus porteuse d'avenir ni protectrice face à la mondialisation. En avril 2005, le débat de Jacques Chirac avec 81 jeunes sur TF1 révèle ce "pessimisme" jeune. Le président français n'a à l'endroit de ce pessimisme qu'une réponse : "Je ne le comprends pas."
L'élargissement à reculons
La désillusion française est celle d'un élargissement opéré à reculons. Le malentendu commence dès la chute du communisme, lorsque François Mitterrand propose de créer une confédération européenne, sorte d'union politique destinée à stabiliser le continent. "Mitterrand était obsédé par les désordres liés à la dislocation de l'URSS, se souvient Elisabeth Guigou, alors ministre des affaires européennes. Il nous parlait de peuplades, comme les Ingouches, les Tchétchènes, les Ossètes, qu'on ne connaissait pas encore." Rendez-vous est pris à Prague en juin 1991, sous la double présidence de François Mitterrand et du Tchécoslovaque Vaclav Havel. La réunion est un fiasco. Mitterrand a inclus dans son projet les anciens oppresseurs russes, mais pas les Américains, dont la présence protectrice est souhaitée par les anciens vassaux de Moscou.
Surtout, il est soupçonné de vouloir créer la confédération pour mieux fermer aux pays de l'Est les portes de la Communauté européenne. Vaclav Havel met en garde les Français dès l'ouverture des débats : "Il serait néfaste (...) que la confédération freine le rapprochement de ces pays avec la Communauté, ou pérennise leur état de pays de deuxième catégorie." Devant une carte de la confédération écrasée par la Russie, les Français concèdent leur défaite. "Il suffit de regarder cette carte pour comprendre pourquoi cela ne peut pas marcher", lâche le Français Maurice Faure à Elisabeth Guigou.
"Les pays de l'Est ont pris cela comme une rebuffade et le malentendu a commencé à s'installer, se souvient Mme Guigou. Ils nous tenaient un langage d'émotion et nous parlions le langage technocratique communautaire." Effectivement, à Copenhague, en 1993, les Européens définissent des critères technocratiques qui vont encadrer la marche de ces pays vers l'Union. Tout débat sérieux fut évacué. Seul le ministre des affaires étrangères Hubert Védrine essaie de freiner la machine en 2001, mais il n'est suivi ni par Lionel Jospin ni par Jacques Chirac. Nul ne préparera les Français à l'élargissement de 2004, invoquant seulement le devoir historique.
Hors de question de reconnaître que l'arrivée de dix pays, pauvres et atlantistes, changerait radicalement l'UE. Résultat, c'est la peur qui domine en mai 2005, en pleine polémique sur le "plombier polonais", accentuée par le débat sur la Turquie : "On est complètement démuni par rapport à l'arrivée des pays de l'Est. Nos charges sont quatre à cinq fois supérieures aux autres pays", s'inquiète un jeune agriculteur devant M. Chirac.
Le mythe du noyau dur
Dans l'Europe des fondateurs, on perçoit très tôt les risques de l'élargissement. "Les Européens de l'Est et de l'Ouest étaient dans des temps différents. Il fallait approfondir l'Europe en même temps que l'élargir", raconte Karl Lamers. A Maastricht, en décembre 1991, les Douze décident de lancer une monnaie unique. Le projet, qui permet d'arrimer l'Allemagne réunifiée à l'Europe, survit aux tempêtes monétaires. Bien vite, les Allemands proposent de relancer l'Europe politique.
En septembre 1994, le député rhénan Lamers publie avec Wolfgang Schäuble, dauphin de Helmut Kohl, un manifeste en faveur d'un noyau dur, rassemblant les pays en mesure de se qualifier pour l'euro : Allemagne, France et Benelux. Helmut Kohl laisse faire sans prendre position : en campagne électorale, il ne veut pas se brouiller avec ses alliés libéraux, qui trouveront le texte trop peu transatlantique, ni vexer l'Italie et l'Espagne, exclues de l'aventure. "Kohl voulait attendre les réactions", confie M. Lamers. Tollé en Italie, silence glacial en France.
"Ce n'était pas réaliste, c'était couper l'Europe en deux", estime aujourd'hui Edouard Balladur, alors premier ministre, qui ne voulait pas exclure le Royaume-Uni, partenaire indispensable en politique étrangère et de défense. Fin 1994, "j'ai demandé à Kohl ce qu'il en pensait. Il a été assez fuyant", se rappelle M. Balladur. Mitterrand ne réagit pas non plus. "Il se méfiait des constructions théoriques", commente Mme Guigou. "L'affaire a levé une équivoque : l'idée du noyau dur n'a aucun soutien politique en France et aucun contenu concret", résume un diplomate français. L'idée ressurgira en 2000 avec les propositions de Jacques Delors, du ministre des affaires étrangères allemand Joschka Fischer, et de Jacques Chirac ; Dominique de Villepin glosera au Quai d'Orsay sur une illusoire "union franco-allemande"."Ce mythe perdure car il incarne la nostalgie d'une petite Europe-puissance à la française", commente M. Védrine. Dans le discours, les Français se veulent intégrationnistes. "Tous, on se sent européens. On demande des changements concrets, puisqu'il s'agit d'une Constitution, donc de quelque chose de grand, quelque part", lancera une jeune femme déçue par le texte constitutionnel à Jacques Chirac. Mais jamais proposition sérieuse ne vit le jour. Laurent Fabius met en garde contre la répétition des erreurs du passé et estime qu'il faut accélérer l'intégration de la zone euro avant son élargissement. Le temps presse. La Slovénie ouvrira le bal début 2007.
Le français marginalisé
Pendant ces années, les Français perdent une autre bataille, celle de la langue. Longtemps, Bruxelles est restée une place forte de la francophonie. Respectant un accord scellé lors de l'adhésion britannique en 1973 entre Georges Pompidou et le premier ministre britannique Edward Heath, Londres y a toujours envoyé de parfaits francophones. Dans les années 1980, avec le marché unique, le quotidien britannique Financial Times supplante la francophone Agence Europe pour devenir le "journal officiel" de la Commission.
Mais en salle de presse, lors du rendez-vous quotidien de midi où la Commission professe l'Europe aux journalistes accrédités, le français reste seule langue autorisée. La situation devient intenable pour les journalistes d'Europe du Nord et d'Autriche, qui affluent à l'approche de l'adhésion de leur pays. On leur concède le droit de poser des questions en anglais, mais il leur est répondu en français. L'Association de la presse internationale (API) demande que le bilinguisme anglais-français devienne la règle. En vain.
"Delors était le rempart de la francophonie. On savait que tant qu'il serait là, on n'aurait pas d'accord", se rappelle Michael Stabenow, correspondant de la Frankfurter Allgemeine Zeitung. "Bonjour, good morning." A peine Delors parti, l'anglais devient début 1995 deuxième langue en salle de presse et lamine inexorablement la langue de Molière, mais aussi les idées françaises. "Les concepts d'aujourd'hui, que ce soit ceux de "développement durable", de "gouvernance économique" ou d'agence ne sont plus français", déplore en 2004 l'ambassadeur français auprès de l'UE, Pierre Sellal. Le Bundestag et l'Assemblée nationale française viennent de dénoncer la "dérive inacceptable vers un régime monolingue" des institutions européennes.
Paris en est réduit à des coups d'éclat, tel Jacques Chirac quittant en mars 2006 la salle du conseil européen, sous prétexte que le Français Ernest-Antoine Seillière, patron du patronat européen, s'était exprimé dans "la langue de l'entreprise". Elle est aussi celle de l'Europe, même si, selon le mot d'Umberto Eco, "la langue de l'Europe, c'est la traduction".
L'Europe libérale
Anglophone, l'Europe élargie est aussi libérale. Elle l'a toujours été depuis le traité de Rome. Les dirigeants français ont prétendu le contraire. Tant que l'Europe apportait croissance et protection face à la mondialisation, la pilule passait. A Barcelone, en mars 2002, l'argument ne tient plus. Le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement, cerné par les manifestants altermondialistes, est miné : la présidentielle française aura lieu dans cinq semaines et les relations entre les deux candidats sont exécrables, depuis que Lionel Jospin a dit de Jacques Chirac qu'il était "fatigué, vieilli".
Les deux candidats ont intérêt à défendre le prétendu modèle social français, mais ils savent qu'ils ne pourront pas réitérer l'exploit de l'année précédente, à Stockholm, où ils ont bloqué, avec l'aide du chancelier allemand Gerhard Schröder, la libéralisation du marché de l'énergie. La position française est rendue intenable par EDF, protégée en France par son monopole mais qui rachète ses concurrents dans tous les pays d'Europe ayant ouvert leur marché.
Très tôt, l'équipe Jospin prend contact avec l'entourage de Tony Blair pour tempérer les ardeurs libérales de l'Espagnol José Maria Aznar, président de l'Union. On envisage un accord gagnant-gagnant : libéralisation totale du marché de l'énergie en échange d'une directive sur les services publics. MM. Jospin et Chirac n'arrivent pas à convaincre leurs partenaires. En salle de presse, ils prétendent avoir obtenu gain de cause : la libéralisation ne concerne pas les particuliers, et la Commission va élaborer une directive sur les services publics. Cette dernière ne verra jamais le jour, mais quelques mois plus tard, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin acceptera discrètement la libéralisation totale du marché de l'électricité.
Jean-Pierre Chevènement a beau jeu de dénoncer MM. Chirac et Jospin qui ont "tout cédé", dans un processus devenu classique : les Français disent une première fois non, cèdent en partie la fois suivante, avant de tout lâcher en catimini. A ce jeu, les citoyens français n'ont plus confiance. "Ne pensez-vous pas que la montée du non est un peu victime du double langage que vous tenez sur le libéralisme ?", demandera sur TF1 un jeune à M. Chirac.
Le piège britannique
Dans l'Europe des années 2000, c'est Tony Blair qui mène la danse idéologique. Lors de l'inauguration de la Convention, les Britanniques sont en ordre de bataille. Si le représentant du gouvernement français, le socialiste Pierre Moscovici est absent, campagne présidentielle oblige, celui de Tony Blair, Peter Hain, occupe déjà le terrain. "J'ai déjà rencontré plus de cinquante personnes", se réjouit-il dans les couloirs de la Convention. Pendant des mois, il édictera en séance les limites à ne pas franchir.
Surtout, Londres a placé au coeur du dispositif John Kerr, ancien ambassadeur de Londres auprès de l'UE, nommé secrétaire général de la Convention. C'est lui qui prend en compte ou non les demandes des conventionnels. Il fera sortir de ses gonds le socialiste français Olivier Duhamel, qui se demande quel est le "kleptomane" qui refuse d'inscrire dans le traité les symboles de l'Union comme l'a demandé l'écrasante majorité de l'Assemblée.
Si Sir John peut agir à sa guise, c'est parce que Valéry Giscard d'Estaing s'est entiché de Tony Blair. L'ancien président français, qui a tempéré ses ardeurs fédéralistes, doit au premier ministre britannique d'avoir été choisi président de la Convention. Surtout, M. Giscard d'Estaing sait que son projet ne peut aboutir que s'il est approuvé par Londres. Lors d'un dîner à Downing Street, au printemps 2002, M. Blair assure le Français qu'il tiendra un référendum sur l'euro. Le président de la Convention entend lui faciliter la tâche. Un an plus tard, l'affaire est oubliée, mais M. Giscard d'Estaing persiste dans sa stratégie : "Je ne veux pas mettre les Britanniques pro-européens dans une situation intenable", se défend-il. In fine, il n'y aura pas d'avancée sociale en Europe ni de passage à la majorité qualifiée en matière de fiscalité.
Lorsque le texte final de la Constitution est prêt, la socialiste française Pervenche Berès, qui avait dénoncé dès le début la menace anglaise, dénigre une "Constitution de merde" et s'engage avec Laurent Fabius dans le combat pour le non. "Avant qu'elle existe, l'harmonisation fiscale, les entreprises françaises seront, je ne veux pas dire mortes, mais à moitié quand même", lança, sceptique, un jeune ouvrier de Sochaux à Jacques Chirac en 2005. Au lendemain du non, un collaborateur de Giscard lâchait : "On n'a pas vu qu'à force de vouloir avoir les Anglais avec nous, on finirait par perdre les Français. Aujourd'hui, nous agirions différemment."
L'Europe victime de Jacques Chirac
Si les Français boudent l'Europe, c'est aussi que les partenaires abandonnent une France de moins en moins estimée. Après la chute du régime irakien, Dominique de Villepin persiste dans son attitude face aux Américains. "Nous avons commis le crime de lèse-majesté. Nous sommes aimés", affirme le ministre des affaires étrangères à des journalistes. Le sentiment est loin d'être partagé par les pays de l'élargissement, auxquels Jacques Chirac a reproché d'avoir "perdu une bonne occasion de se taire" en signant une lettre de soutien à George Bush dans la crise irakienne.
Exaspéré par la Pologne qui vient d'acheter des F16 américains mais exige des fonds européens, Jacques Chirac se lance, en mars 2003 à Bruxelles, dans une diatribe interminable : "Ces pays ont été à la fois, disons le mot, pas très bien élevés et un peu inconscients des dangers que comportait un trop rapide alignement sur la position américaine." L'ex-dissident polonais Adam Michnik, dont le quotidien Gazeta Wyborcza dénonce le lendemain en Jacques Chirac un "grossier personnage", parle de "l'arrogance du président français". Quelques mois plus tard, l'ambassadeur de Pologne à Bruxelles sourira quand il lui sera demandé de commenter l'intervention du président français. Considérant que l'appui des Allemands et des Belges suffisait, Jacques Chirac a été incapable de faire partager, sur l'Irak, ses arguments pourtant soutenus par les populations européennes.
Il en fut ainsi de sa politique européenne : brutale, lorsqu'il reprend les essais nucléaires en 1995 sans en parler à Helmut Kohl, ou qu'il organise la mise en place de sanctions contre l'Autriche après l'arrivée au pouvoir de l'extrême droite en 2000 ; inconstante, lorsqu'il ne parvient pas à imposer une réforme des institutions européennes au conseil européen de Nice parce qu'il ne veut pas donner à l'Allemagne, peuplée de 82 millions d'habitants, une petite voix de plus qu'à la France au conseil des ministres européens.Peu importe qu'il fasse volte-face deux ans plus tard, en acceptant que Berlin ait 40 % de poids en plus que Paris.
"Le problème de la France, c'est qu'elle change souvent d'idée fixe", raille alors l'eurodéputé UDF Jean-Louis Bourlanges. En politique européenne, il en fut comme en politique intérieure. En mai 1998, sortant de la réunion où il avait tenté pendant deux jours d'imposer Jean-Claude Trichet à la présidence de la Banque centrale européenne, Jacques Chirac avait lancé un curieux "on ne rit pas". En 2005, on ne rit plus.
Arnaud Leparmentier
Article paru dans l'édition du 27.05.06
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