Um jornalista francês, de origem portuguêsa, contatou-me, dias atrás, para que eu lhe respondesse um questionário sobre o Brasil de hoje, sua economia, a situação social e, especialmente, o presidente.
Como sempre, respondi sinceramente, sem travas na língua, pois como é o meu hábito, costumo dizer, e escrever, o que penso.
Quem não gostar pode escrever para comentar, expondo argumentos, não xingamentos...
Entretien sur le président Lula
Paulo Roberto de Almeida
(www.pralmeida.org; pralmeida@mac.com)
Interview à un journaliste français, Vincent Paes
Pour le magazine Décideurs
(revue d’affaires)
1) Lors des meetings syndicalistes, les prises de parole de Lula était toujours très attendues. Qu'est-ce qui fait de lui un si bon orateur ?
PRA : Le président brésilien Lula a une rhétorique très convaincante : il possède comme peu de gens une très forte capacité à se communiquer en langage simple, directe, avec des images vives et des références familières, très proche de la compréhension moyenne des Brésiliens des couches populaires. C’est un communicateur par excellence. Lula a un fort instinct pour se faire comprendre des gens très humbles, car il a recours à des lieux communs mais qui sont très prisés du point de vue de la semi logique et des raisonnements simplistes des milieux populaires. De plus il sait s’adapter au public du moment, soit une rencontre de banquiers, soit une assemblée de syndicalistes : dans ce dernier cas, il n’hésitait pas, à son époque de leader syndical, à recourir à un langage prétendument de confrontation, quitte, plus tard, lors des négociations avec les industriels, à ce montrer compréhensif, prêt à trouver une solution de compromis. Il a aussi très vite appris à manipuler la presse – dont les reporters, très mal rémunérés, sont plutôt de gauche – en la laissant faire croire qu’il était le symbole du renouveau syndical, peu accommodatif et se présentant comme l’alternative au très vieux syndicalisme de situation, soumis au jeu des patrons de l`industrie.
Il était très facile, lors de l’inflation galopante, de demander des augmentations « réelles » de salaire, en sachant que, par après, les industriels allaient repasser les coûts à l’ensemble de la population, par le renchérissement des prix. C’était ce que l’on pourrait appeler le « pacte pervers », le même qui a conduit l’Angleterre à la décadence économique par le biais d’une spirale de salaires et des prix qui a détruit les possibilités de croissance. Le langage agressif de Lula à l’encontre des patrons lui a conquis un public fidèle, en même temps qu’il garantissait aux militaires et aux élites que son radicalisme de façade était nécessaire pour tenir les soupapes de sécurité en place : c’était lui ou les communistes, disait-il. En même temps, il savait diviser ses collègues du syndicat et se montrer en rassembleur, la même tactique qu’il allait employer plus tard, lors de la construction de l’appareil central dans son parti.
2) Beaucoup de membres de son ancien syndicat lui ont reproché de s'être rapproché de la droite au fur et à mesure des élections présidentielles. En passant de syndicaliste à homme politique, pensez-vous que Lula ait renié ses convictions initiales ?
PRA : Pour affirmer cela, il faudrait supposer que ses convictions initiales étaient clairement de gauches, ou socialistes tout court. Or, il est douteux que Lula ait été, un jour, un vrai homme de gauche ou un socialiste rationnel, c’est-à-dire, un esprit cohérent, dirigé vers un programme progressiste typique de la gauche anti-capitaliste. Il y avait beaucoup de théâtre dans les initiatives et les discours de Lula ; somme toute, il y avait un espace ouvert, à la fin du régime militaire et pendant la transition vers la démocratie, pour un parti de gauche non communiste, et non compromis avec l`ancien syndicalisme, vendu à l’État et aux patrons. De plus, l`ancienne gauche qui s’était essayée à la lutte armée devait se recycler dans l’activité légale, sans compter l’énorme base sociale des communautés ecclésiales de base, de l’Église progressiste, qui toutes les deux cherchaient un instrument nouveau d’action politique. Lula a été leur leader providentiel, volontiers de « gauche », comme il faudrait, et plutôt pragmatique comme il s’avérait nécessaire. Cela a été une longue journée de construction de son instrument de lutte politique, avec des compagnons de route qui se sont soumis volontairement au nouveau leader charismatique, jusqu'à en devenir des dépendants complets de son succès populaire.
Il est aussi tout à fait faux de dire que Lula s’est rapproché de la droite, car ce sont les patrons de l’industrie et de la presse qui se sont rapprochés de lui quand ceux-ci ont senti que le vent de la politique partisane avait tourné en faveur du nouveau leader populaire. Le pragmatisme et l’accommodation ont vaincu des deux cotés. Mais il est plutôt vrai que, pour gagner aux urnes en 2002, Lula a modéré son discours, mais cela seulement pour gagner la classe moyenne plus conservatrice, car le grand patronat – y compris les grands banquiers – il l’avait déjà gagné. Ce n’était donc pas une question de convictions, mais d’opportunisme politique.
3) Les politiques économiques qu'il a mises en place sont plutôt de droite. Au contraire, Bolsa familia a marqué une véritable rupture dans la politique sociale du Brésil. Comment expliquez vous cet écart ?
PRA : Lula a été assez malin pour comprendre que la politique économique de ses compagnons de gauche – soit les « developpementalistes » à la Cnuced, soit les keynésiens radicaux des universités publiques – était proprement schizophrénique, et qu’elle conduirait, si appliqué dans un Brésil décidemment capitaliste, à un désastre comparable à celui d’Allende au Chili, avec inflation galopante, fuite des capitaux et instabilité politique. Il a été donc très sage de continuer la même politique, non de droite, mais tout simplement de stabilisation, qui avait été mise en place par son prédécesseur, Fernando Henrique Cardoso, ancien ministre des affaires étrangères et de l’économie, qui a su, lui aussi, opérer un virage pragmatique de ses anciennes conceptions plutôt farfelues sur la théorie de la dépendance vers la responsabilité fiscale, l’équilibre des budgets et le sérieux monétaire.
Il est par ailleurs tout à fait faux de dire que le Bolsa Familia a représenté « une véritable rupture dans la politique sociale du Brésil ». Les premiers programmes sociaux de Lula, le Faim Zéro, le Premier Emploi, ainsi que d’autres, ont été des véritables désastres, menés par des amateurs, tous les deux vite écartés, les programmes et ses responsables. Le Bolsa Familia représente, en fait, une récupération d’anciens programmes sectoriels mis en place par Fernando Henrique Cardoso et surtout par sa femme, l’anthropologue Ruth Cardoso : le Communauté Solidaire, le Bourse École, les tickets d’alimentation, de gaz, les transferts directs par des assistantes sociales travaillant dans des municipes situés au bas de l’échelle de l’Indice de Développement Humain, enfin, tout un ensemble de programmes sociaux, parfois dispersés, mais ayant toujours la préoccupation de trouver une « porte de sortie » à des gens démunis de presque tout, sauf un peu de dignité.
Ce que Lula et son équipe « sociale » ont fait a été de rassembler tous ces programmes dans un programme « monstre », heureusement appelé Bolsa Familia, mais qui se révèle être, en fait, un très bon expédient électoral : de plus, il ne possède pas, ou pas assez, des contreparties importantes comme le contrôle de la fréquentation scolaire comme c’était le cas pour la Bourse École, strictement lié aux performances de l’enfant à l’enseignement, ce qui laissait espérer un progrès familier dans le moyen terme. Le Bolsa Familia c’est tout simplement une carte magnétique qui convertit des citoyens auparavant travailleurs en dépendants eternels de l’administration publique, une masse de manœuvre qui peut se révéler utile lors des périodes électorales. Elle crée, en plus, deux problèmes graves au point de vue social et du travail : les gens en possession de cette carte magnétique préfèrent se maintenir éloignés du marché de travail formel – pour ne pas perdre le droit de gagner sans travailler, y compris en tant qu’agriculteurs de subsistance, car ils peuvent acheter leurs aliments à l’épicier du village, lui approvisionné par la grande agriculture commerciale – ce qui pose la question du chômage structurel – comme le manque de travailleurs manuels pour certaines cultures à la zone rurale ou pour le travail domestique dans les villes – et, plus grave encore, le manque à gagner de la sécurité sociale (qui devra toujours payer aux bénéficiaires de la Bolsa Familia au moment de leur retraite).
S’il y a un écart, donc, c’est entre les politiques sociales responsables de l’ancienne administration Cardoso, et les politiques d’assistance directe, à caractère électoral et créant une armée de dépendants, de l’administration Lula. Par ailleurs, c’est précisément la politique économique, non pas de droite, mais tout simplement responsable, héritée de l’administration Cardoso, qui a permis de sauvegarder le pouvoir d’achat des plus pauvres, ceux-là même qui auparavant subissaient les effets affreux de l’inflation, le mécanisme principal de concentration de revenu au Brésil. Lula a été, au moins, suffisamment conscient pour éviter l’aventure des politiques distributives, soit disant de gauche, qui a conduit d’autres dirigeants populistes au désastre économique.
4) Ces politiques ont-elles permis de réduire les inégalités et la pauvreté au Brésil ?
PRA : Les facteurs le plus importants qui ont permis de réduire les formidables écarts de revenu au Brésil ont été, dans l’ordre de leur impact sur la distribution des revenu, les suivants : 1) la fin de l’inflation excessive, avec le Plan Réal, introduit par Cardoso, en 1994, et qui a eu des effets immédiats dans le rétrécissement de ces écarts ; 2) les investissements sociaux – éducation, santé, assainissement de base, infrastructure et d’autres – maintenus à des niveaux satisfaisants pendant les années 1990, même au milieu de la crise économique ; 3) les réseaux d’assistance et de prévoyance sociale, y compris, la sécurité universelle (même pour ceux qui n’ont jamais contribué au programme général), avec au moins un salaire minimal, corrigé toujours de l’inflation annuelle ; 4) les programmes sociaux, c’est-à-dire, les transferts directs en cash, introduits de manière modérée par Cardoso et largement disséminés par Lula, pour des motifs plutôt électoraux, mais qui ont, cela est clair, permis aussi de réduire la pauvreté extrême (mais très faiblement l’inégalité, il faut le dire).
S’il faut rendre à César ce qui est de César, il faut donc reconnaître que Cardoso a autant de mérite, sinon plus, que Lula, dans la réduction de la pauvreté et l’inégalité, mais évidemment sans l’énorme machine publicitaire mouvementée par Lula et ses compagnons de parti, relayés de manière inconsciente para la presse brésilienne de gauche et par la presse internationale, très mal informée des réalités brésiliennes.
5) Comment se porte l'économie brésilienne ? A-t-elle les moyens de s'imposer au niveau international ?
PRA : L’économie brésilienne se porte plutôt bien, grâce, il faut le reconnaître tout de suite, à la continuité des mêmes politiques que sous Cardoso, sous Lula élargie et bénéficiée par le plus important essor de l’économie internationale, entre 2002 et 2008, depuis l’épuisement des « trente glorieuses » au moment des chocs du pétrole. Le Brésil s’est plutôt laissé « acheter » qu’il n’a vendu sur les marchés internationaux, car ses exportations – surtout celles de matières premières, avec des prix au sommet depuis des décennies de baisse – ont plus augmenté en valeur qu’en volume. Aussi, la stabilité conquise auparavant – et pas déraillée par Lula, il faut lui reconnaître cet exploit, remarquable en vue des recettes bizarres servies par ses amis de gauche – a permis d’attirer des capitaux d’investissements et des emprunts internationaux à des taux de risque (spreads) jamais vus au Brésil (ce qui s’explique aussi par l’énorme liquidité internationale, poussée en grande mesure par la voracité consommatrice des Etats-Unis et son financement chinois, ce qui est absolument la même chose).
Mais, tout en étant situé aux dix premières places de l’économie mondiale, le Brésil ne semble pas prêt, encore, pour s’imposer au niveau international : il lui manque, pour cela, une monnaie librement convertible, ainsi qu’un ensemble d’autres moyens d’action pour appuyer un effort réel de coopération internationale (y compris au niveau de l’outil militaire). Mais ce qui manque le plus, en fait, c’est un changement complet de perspective dans la manière d’approcher les réalités internationales : malgré tout son développement industriel et ses progrès scientifiques, le Brésil continue à se classifier en tant que « pays en développement » et à demande un statut égal aux pays les plus pauvres, c’est-à-dire, le traitement préférentiel et plus favorable pour ces pays. Cela semble peu compatible avec un statut de puissance moyenne sur le théâtre international.
6) Selon vous, Lula a-t-il réussi à donner une image positive du Brésil, en termes économiques et politiques, à l'international ?
PRA : Certainement, et cela est dû, en partie à son caractère jovial et sympathique, très simple – bien qu’en partie fabriqué – et d’autre part à l’enchantement de la presse internationale et les moyens de communication – et des leaders do G7, aussi – qui aiment voir en lui l’histoire idéale du self made man venu de très bas et qui a réussi malgré toutes les difficultés de la vie. C’est une très belle histoire, mais aussi alimentée par un puissant service de publicité qui consomme littéralement des millions pour donner cet image d’un « président du peuple », un travailleur comme tous les autres (ce que Lula n’est plus, depuis très longtemps). Nonobstant, il faut reconnaître que Lula sait s’imposer naturellement, même si certaines causes ne sont pas toujours du « bon côté » (par exemple, son appui aux régimes soit disant gauchistes, dont certains sont des parfaites dictatures).
7) Lula arrive bientôt à la fin de son second mandat. Selon vous, le bilan est-il positif? Qu'a-t-il apporté au Brésil ?
PRA : Comme toujours, il faut séparer le mythe, ou la fiction servie par les publicitaires du gouvernement, de la réalité économique et sociale. Le Brésil est-il mieux aujourd’hui qu’il y a sept ou huit ans auparavant ? : vraisemblablement, mais cela est dû, en grande partie, aux politiques classifiés comme « de droite » – stabilité monétaire, responsabilité fiscale, taux de change flottant – héritées de la période précédente, mais aussi au bon sens de Lula, de ne suivre les recommandations assez louches de son parti et des « intellectuels gramsciens » de l’académie – il ne s’est pas laissé tenter, par exemple, par un appel facile à des émissions irresponsables, le contrôle des capitaux, la manipulation de l’échange, le protectionnisme exagéré ou le recours à l’endettement – bien qu’on ne peut laisser de remarquer une forte rechute dans l’exacerbation du pouvoir d’État (avec création de nombreuses entreprises publiques et le démesure administrative de presque 40 ministères et secrétariats d’État. Lula fait beaucoup des discours, tout le temps, comme s’il était en campagne permanente, et l’accent démagogique tend chaque fois à l’emporter sur le didactique.
Lula a respecté l’autonomie de la Banque Centrale – même s’il n’a pas concédé la véritable indépendance – mais il l’a fait moins par conviction que par nécessité, ayant appris – avec tant de défaites de la gauche de par le monde – qu’il ne faut jouer avec la stabilité monétaire. Tout en n’ayant pas amélioré l’ambiance pour les négoces au Brésil – qui reste dans les dernières positions du Doing Business de la Banque Mondiale – il n’a pas non plus chassé l’investisseur étranger, comme tant de ses collègues en Amérique du Sud. Moins brillant, l’assaut d’absolument toutes les instances de l’État, dans tous les niveaux, par un raz-de-marée de militants du parti de Lula, très peu compétents mais avides de salaires et autres chances d’augmentation du patrimoine personnel. Encore plus préoccupant, l’expansion constante et régulière des dépenses de l’État – déjà à un niveau de pays développé (38% du PIB) pour un revenu par tête six fois moindre – et le maintien d’un système de tributs irrationnel et très lourd. Le Brésil est un champion mondial en tributs et en bureaucratie fiscale.
Finalement, même si on lui crédite l’amélioration de la distribution du revenu – avec un élargissement des classes C et D –, cela a été opéré par une ponction accrue, sous la forme d’impôts, sur la classe moyenne et les entreprises ; pire, la Bolsa Familia semble être plutôt une stratégie électorale, n’a pas des portes de sorties très claires et risque de créer une armée d’assistés semblable à la population argentine – plus de 44 millions de personnes – qui risque de provoquer un très fort impact négatif sur les marchés du travail et les comptes de la prévoyance sociale. Sur le plan fiscal, l’héritage de Lula risque, ainsi, d’être très lourd. Un dernier legs négatif c’est le démantèlement de l’indépendance du pouvoir législatif, car le pouvoir exécutif a littéralement « acheté » l’appui des parlementaires à des projets.
Si l’on pense, par contre, à la présence accrue du Brésil sur la scène internationale, il ne faut pas oublier qu’elle résulte beaucoup plus du dynamisme de ses hommes d`affaires et entrepreneurs, et seulement en partie à la diplomatie présidentielle. Elle est due, aussi, au conservatisme de la Banque Centrale, beaucoup plus qu’aux recommandations des « économistes » du Parti des Travailleurs.
8) Lula ne pourra pas se représenter pour un troisième mandat. Pensez-vous que son parti pourra l'emporter de nouveau ?
PRA : Difficilement, tant il reste dépendant du succès politique de son unique leader jusqu’aujourd’hui. Lula, d’ailleurs, n’a rien fait pour agrandir le PT, ayant commandé personnellement des alliances électorales avec les pires oligarques du passé, ceux là même que le PT accusait de corruption et pratiques néfastes par le passé. Bien sur, ayant noyauté complètement l’État, le PT commande beaucoup de ressources officielles pour exagérer dans la publicité, ce qu’il a fait tout le temps depuis le début du gouvernement Lula. Surtout, la charte électorale du PT a été complètement modifiée depuis lors, en quittant les zones urbaines à population scolarisée vers les régions les plus arriérées du pays, avec des électeurs ramassés dans les contingents d’assistés, justement. Cela est tout le contraire du message traditionnel du PT, hypothétiquement ouvrier et socialiste, et qui doit maintenant occuper les espaces des vieux colonels oligarques qui dominaient des analphabètes soumis à la logique de l`assistance populiste. Déjà aux dernières élections, le PT s’est vu réduit aux états (un seul) et municipalités les plus périphériques et pauvres, et presque pas de capitales des états ou des villes plus importantes.
En conclusion, même si Lula réussit à élire son successeur – en mobilisant tout son prestige personnel et toutes les ressources de l’État – il est peu probable que le PT réussisse à inverser son profil tout à fait contraire à ses racines ouvrières et urbaines d’il y a trente ans.
Paulo Roberto de Almeida
Brasilia, 09.09.2009
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