Uma grande tese de história na França:
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SOUTENANCE DE THESE
Mme Caroline PIQUET soutiendra sa thèse de Doctorat (Université de Paris IV) sur le sujet suivant:
La Compagnie universelle du canal maritime de Suez en Egypte, 1888-1956. Une concession française dans la tourmente d’une nation en marche
Lundi 11 décembre 2006
9 heures
En Sorbonne, Centre Administratif, Salle des Actes
1, rue Victor Cousin 75005 Paris
En présence du Jury :
Mme ALLEAUME (CNRS)
M. BARJOT (PARIS 4)
M. FREMEAUX (PARIS 4)
M. MARSEILLE (PARIS 1)
M. SAUL (QUEBEC)
Résumés :
Cette étude présente l’histoire de l’une des plus importantes entreprises de l’Égypte contemporaine, la Compagnie Universelle du Canal Maritime de Suez, de 1888 à 1956. Cette période correspond à l’émergence de l’État-nation égyptien et à la construction d’une économie nationale. Durant près d’un siècle, l’activité de la Compagnie de Suez se déroule en Égypte et sa concession constitue un véritable domaine privé. Cette présence marque durablement la région de l’isthme de Suez, en particulier dans le domaine du transfert de compétences et de technologies, du bassin d’emploi et des réalisations urbaines. Sous cet angle, l’entreprise peut être envisagée comme un acteur de développement économique de la région. Cependant, l’entreprise adopte un fonctionnement de type colonial et marginalise les intérêts de l’autorité concédante. Le gouvernement égyptien et les groupes nationalistes et syndicaux réagissent en réclamant une gestion nationale de la voie maritime. L’étude de Suez renvoie à l’action de l’État égyptien sur le capital étranger et plus largement aux contradictions de la concession européenne en Égypte.
The study examines the history of one of the biggest firm of Modern Egypt, the Suez Canal Company from 1888 to 1956. This period corresponds in Egypt to the emergence of the Nation-State and the build up of national economy. For over than a century, all the activity of the Suez Company set up on Egypt and its concession was a real preserve. Then, the economic and social impact of this Company on the region was enormous, especially on labour market, technology transfer and urban realisations ; it can be considered as an actor of development of the Suez Isthmus. However, at the same time, the firm adopted a colonial attitude and denied the country any benefit from these infrastructures : the canal had to serve financial and strategic interests, not to serve local economy. In this context, Egyptian government, nationalist and unionist groups demanded return of the canal to national management. Suez reflects the role of the Egyptian State on foreign business and, in the widest sense, the contradictions of the European concession system in Egypt.
Position de thèse :
Ce travail propose d’étudier la Compagnie Universelle du Canal Maritime de Suez, de 1888 à 1956, selon une approche nouvelle privilégiant l’étude de cette concession française dans son environnement égyptien, alors que l’historiographie a plutôt mis l’accent sur les aspects diplomatiques et stratégiques liés au canal de Suez. Au cœur de cette recherche, se pose la question de la concession outre-mer, qui représente à la fois un instrument d’expansion européenne et une opportunité de développement. L’interrogation porte en particulier sur la tension entre la logique commerciale de l’entreprise et les notions de service public et d’intérêt général. Le malentendu entre Suez et l’Égypte concerne tout particulièrement la fonction de la concession : Suez défend une mission internationale quand l’autorité concédante l’envisage sous l’angle de l’intérêt national. Ce dernier point s’avère essentiel dans une période de construction nationale : le canal doit participer au développement du pays et à l’émergence d’une économie égyptienne. Pour replacer la Compagnie dans cette dynamique, l’étude fait appel à une méthodologie spécifique relevant à la fois de l’histoire des entreprises, de l’histoire sociale et de l’histoire coloniale. Le plan retenu privilégie l’analyse de cette concession sous trois aspects : un enjeu politique, un lieu de travail et un territoire.
La première partie étudie la Compagnie dans son rapport à l’environnement politique du pays. Le premier chapitre analyse la Compagnie de 1888 à 1918, dans le contexte d’une Égypte soumise à l’occupation britannique. L’entreprise profite de la stabilité de l’Égypte coloniale pour se forger une tradition et acquérir un statut pour le moins particulier : entreprise concessionnaire égyptienne, elle est constituée, depuis 1876, pour l’essentiel de capitaux français et britanniques, avec un siège social installé à Paris. En 1888, la conférence de Constantinople en déclarant le canal de Suez international permet à l’entreprise de se revendiquer d’une mission mondiale, reléguant ainsi sa nationalité égyptienne au second plan. Par ailleurs, l’autorité concédante se fait très discrète et n’inquiète que peu les dirigeants de Suez. Toutefois, la légitimité de l’entreprise auprès de la population demeure bien fragile : une crise politique en 1909 portant sur la prolongation de la concession le souligne et révèle la triste réputation de parasite associée à l’entreprise.
Le second chapitre s’étend de 1918 à 1945, période marquée par la volonté d’indépendance du pays. Prise dans la tourmente d’un nationalisme économique, Suez se fait bousculer par la construction nationale égyptienne. En outre, la Compagnie doit affronter la nouvelle donne politique issue de l’accord anglo-égyptien de 1936 et de la liquidation du système des capitulations. L’autorité concédante est désormais en mesure d’exiger des gestes significatifs de la Compagnie. Cette dernière amorce dès lors une évolution notable de son statut financier et juridique : elle accepte le principe de la redistribution d’une partie de ses revenus tirés du canal et l’entrée d’Égyptiens dans son conseil d’administration. Elle reconnaît en outre sa fonction d’entreprise concessionnaire égyptienne, en admettant la nécessité de recruter et de former des employés nationaux. Toutefois, cette évolution vers une plus grande intégration de la Compagnie dans la société égyptienne se voit bloquée par la Seconde Guerre mondiale. Le canal se trouve de nouveau placé au devant de la scène internationale. Alors que Le Caire espère profiter de la crise pour étendre son contrôle sur l’entreprise, les Britanniques dénient au gouvernement égyptien toutes ses prétentions. Un repli s’effectue alors sur l’entreprise européenne disputée en coulisse entre Britanniques et Français. Cette tension sur la direction de l’entreprise explique, après la guerre, une ferme reprise en main de l’organisation par les Français. En outre, la nouvelle équipe dirigeante brise définitivement la dynamique de collaboration avec l’Égypte effectuée durant les années trente, en réorientant Suez vers une mission internationale et un statut d’exception.
Le troisième chapitre traite des dix dernières années de l’entreprise dans le pays, de 1945 à 1956, lorsque l’Égypte libérale connaît ses ultimes moments, balayée ensuite par l’Égypte militaire. Le pays, depuis les années trente, affirme sa volonté de préparer la transition vers une régie directe. Dans les années cinquante, l’Égypte est en outre placée devant la nécessité de trouver des moyens de financement pour ses projets de développement. Le Caire cherche donc à placer Suez, à l’image des autres sociétés étrangères, dans un processus d’égyptianisation. Cela se traduit pour l’entreprise par l’intensification de la pression de l’État sur sa gestion et sur sa trésorerie. Au début des années cinquante, la Compagnie prend conscience que la possibilité d’un renouvellement de la concession en 1968 est bel et bien enterrée, du moins en l’absence de pression internationale. Elle s’engage par conséquent dans une double stratégie : garder le canal par une offensive diplomatique tout en se préparant à l’éventualité de sa perte. La Compagnie défend son monopole sur le canal par son argument classique de société internationale garante de la navigation et, en parallèle, elle amorce sa mutation financière par une stratégie de placements à l’étranger.
Ainsi, souveraine jusque dans les années vingt, l’entreprise subit l’affirmation du nationalisme égyptien dans les années trente, puis la tourmente des dernières années de l’Égypte monarchique et libérale, pour connaître un renforcement des difficultés sous la période militaire. Cette périodisation ne correspond que peu à sa chronologie économique ; ses revenus dépendent en effet moins de ses rapports avec l’autorité concédante que des fluctuations de l’économie mondiale. Néanmoins, à la fin de la période d’exploitation, le renforcement de l’autorité concédante se fait sentir sur l’évolution de sa rentabilité. Mais ces dernières années correspondent aussi à un grand dynamisme financier avec une amorce d’internationalisation sur les places européennes et américaines.
Dans une seconde partie, la Compagnie est analysée sous l’angle de l’organisation du travail et des hommes de l’exploitation. La monographie sociale de l’entreprise permet de présenter le personnel comme un vecteur de changement de l’entreprise, jouant sur ses évolutions internes et externes, sous la pression de la question nationale. Le chapitre 4 s’attache à l’étude de l’organisation du travail de la Compagnie afin de souligner les spécificités de la main-d’œuvre. Le travail y présente un caractère hétérogène par la multiplicité des chantiers et des personnels. Cependant, on peut y dégager deux organisations dominantes : une première, assez sommaire, sur les chantiers de voirie et de terrassement et une autre, moderne et rationalisée, au sein des ateliers. Cela entraîne une distinction nette entre d’une part une main-d’œuvre sous-qualifiée, majoritairement égyptienne et employée dans le cadre du tâcheronnat et, d’autre part, une population ouvrière qualifiée pour l’essentiel européenne et bénéficiant d’avantages sociaux en tant qu’ouvriers inscrits. Cette distinction est renforcée par la politique de recrutement : la Compagnie privilégie le recrutement à partir de l’immigration d’ouvriers méditerranéens. Cette immigration au caractère permanent dès la fin du dix-neuvième siècle a permis d’assurer la transmission du métier au sein du cadre familial. La formation d’ouvriers spécialisés n’apparaît comme une préoccupation sociale que tardivement, dans les années vingt.
Dans le chapitre 5, il s’agit de voir comment la Compagnie répond aux spécificités de sa main-d’œuvre par une politique sociale paternaliste. Celle-ci est chargée de fidéliser le personnel et de créer un consensus au sein de l’entreprise ; or, ce consensus est progressivement fragilisé par les enjeux de la construction nationale. La politique sociale de Suez est née d’un souci de conserver une main-d’œuvre étrangère, après la désaffection des Égyptiens recrutés dans le cadre de la corvée. De la fin du dix-neuvième siècle au premier conflit mondial, l’entreprise procède à la mise en place d’une législation interne très en avance sur le reste du pays, en accordant un statut avantageux à ses ouvriers étrangers. Durant l’entre-deux-guerres, cette politique sociale connaît à la fois son apogée et ses limites. Le paternalisme triomphant des années vingt repose sur la distinction entre les ouvriers inscrits et non-inscrits. Grâce à cela, la Compagnie assure à la fois la paix sociale et une gestion efficace des coûts de personnel. Cependant, la crise des années trente montre les limites de l’encadrement ouvrier au moment où les préoccupations financières de l’entreprise l’emportent au sein de la direction. Les années trente constituent une période de rupture entre un paternalisme hérité du dix-neuvième siècle et des méthodes de gestion du personnel plus modernes. La Seconde Guerre mondiale représente une nouvelle étape puisque désormais la population égyptienne dépasse la population émigrée au sein du personnel : le consensus entre patrons et ouvriers s’en trouve profondément affecté. De plus, l’intervention de l’État constitue un frein à la politique sociale de l’entreprise. Le discours paternaliste traditionnel s’oriente désormais vers l’action psychologique et la diffusion d’un journal d’entreprise. En dépit de ces mesures, les autorités accusent le modèle social de l’entreprise de se réaliser au détriment des Égyptiens. Elles considèrent désormais avoir un rôle à jouer dans ce qui relevait jusqu’alors des affaires internes de l’entreprise, en particulier le niveau des salaires, la cadence de l’égyptianisation et la formation du personnel.
Le chapitre 6 s’intéresse à l’étude des conflits ouvriers ; ceux-ci replacent l’entreprise dans le cadre de ses relations avec les syndicats et les associations de la région et permettent de mesurer les conséquences de la montée du nationalisme égyptien sur l’entreprise. L’histoire du mouvement ouvrier de Suez est celle d’une rencontre entre les méthodes d’action des ouvriers européens et le nationalisme du personnel égyptien. La configuration du mouvement évolue selon la composition du personnel ouvrier et du contexte politique. Au dix-neuvième siècle, les Européens, alors majoritaires, apportent une tonalité anarcho-syndicaliste au mouvement. Durant l’entre-deux-guerres, un rééquilibrage s’effectue au sein du personnel entre les Européens et les Égyptiens tandis que le nationalisme égyptien devient le sentiment le mieux partagé du pays : le syndicat de la Compagnie associe alors la lutte ouvrière aux inégalités politiques. De leur côté, les ouvriers égyptiens, pour beaucoup non-inscrits dans le cadre, se mobilisent d’eux-mêmes pour revendiquer des droits similaires aux Européens inscrits. Après la Seconde Guerre mondiale, le personnel égyptien constitue l’écrasante majorité du personnel de Suez : l’accent est naturellement mis sur les problèmes spécifiques à cette catégorie. En outre, la Compagnie devient une des cibles privilégiées de la propagande nationaliste. Le personnel égyptien y est sensible et représente désormais un contre-pouvoir au sein de l’entreprise. Dans les dernières années de l’exploitation, les ouvriers ne luttent plus contre l’entreprise mais accompagnent l’action de l’État pour en disputer la direction aux étrangers.
Dans la troisième partie, l’étude s’attache à l’entreprise comme un acteur de développement de la région, en soulignant les ambiguïtés entre concession et colonisation. Suez représente une fusion des idéaux saint-simoniens et francs- maçons avec la pensée libérale, associée à l’expansion de l’Occident chrétien. La Compagnie entend lier son activité d’exploitation du canal à une mission de colonisation : elle entreprend la modélisation de son environnement sur le territoire de sa concession, en érigeant villes, hôpitaux, mais aussi écoles et églises. Le chapitre 7 met l’accent sur la concession de Suez entendue comme un prolongement de l’Empire français, une ambition toutefois contestée par d’autres puissances. Les premiers à s’y opposer sont les Britanniques : leur antagonisme se manifeste surtout dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Avec l’entrée de leurs représentants au sein du conseil d’administration en 1883, l’hostilité franco-britannique s’apaise pour se transformer en une rivalité plus sournoise, mais sans incidence sur le fonctionnement de l’entreprise. Le fascisme, quant à lui, atteint l’entreprise en son cœur en divisant fortement son personnel ; le conflit se joue jusque dans les couloirs du Saint-Siège, avec pour cadre plus général la question de l’influence française et italienne en Afrique orientale. Par ailleurs, la Compagnie s’érige en véritable autorité politique. Elle n’est ni l’instrument de la France, ni celui des Anglais ; mais pragmatique, elle s’appuie sur l’occupation britannique contre le danger égyptien. Après l’évacuation britannique, la Compagnie souligne plus fortement son image d’entreprise française en espérant un soutien des autorités hexagonales. Cela l’entraîne dans une situation paradoxale : elle refuse des liens trop marqués avec la France au nom de son statut international, clé de son indépendance et de sa liberté d’action, tout en affirmant son identité française.
Le chapitre 8 se concentre sur l’organisation de la concession comme un domaine privé de l’entreprise. La Compagnie contribue à développer la région de l’isthme de Suez, bien qu’une tension demeure entre la logique d’extraterritorialité, découlant du statut international du canal, et celle de territoire égyptien. Sur l’ensemble de la période d’exploitation, la Compagnie impulse un élan plus qu’elle ne contrôle le développement de la région : celle-ci se construit de concert avec les populations et les autres activités commerciales et industrielles de l’isthme. Néanmoins, la Compagnie demeure un élément moteur de l’organisation de la région jusqu’à la nationalisation. Elle appose son sceau dans le paysan urbain et poursuit un idéal de société bien organisée.
Le chapitre 9 s’attache à l’entreprise sous sa dimension de colonie française. L’entreprise prolonge la mission de civilisatrice de la France outre-mer à travers sa politique sociale, en favorisant l’installation des missions catholiques et en développant la langue française dans la région. En outre, s’installe une colonie de cadres français qui présente les aspects de la plupart des sociétés coloniales : un style de vie petit bourgeois, des inégalités sociales, la vie entre soi et le culte de la patrie. L’action de la Compagnie encadre cette petite société par une généreuse politique de subventions et contribue à reproduire dans la vie sociale l’organisation de l’entreprise. Mais cette communauté française paraît à bien des égards anachronique après la Seconde Guerre mondiale, tant par rapport à la situation de l’Égypte qu’à celle de l’Europe.
L’étude de la Compagnie souligne ainsi une grande réussite financière qui bénéficie en premier lieu aux actionnaires européens alors que l’État égyptien, malgré les accords passés, demeure le grand perdant. Négligeant sa fonction de concessionnaire, Suez met un point d’honneur à affirmer sa vocation d’entreprise commerciale privée et indépendante. Par conséquent, d’un point de vue politique et financier, l’apport de cette entreprise à l’Égypte s’avère plutôt médiocre ; cette histoire est faite de pressions et de contraintes plutôt que de volonté de collaboration. De plus, l’entreprise fait preuve d’une difficulté d’adaptation aux nouveaux schémas politiques. Après la Seconde Guerre mondiale, la décolonisation est mal appréhendée. Suez vit toujours sur les principes du dix-neuvième siècle : statut d’exception et conférence de Constantinople. Cette adaptation ratée peut s’expliquer par la culture de ses dirigeants issus des milieux coloniaux et par une structure assez rigide, construite sur le modèle des administrations françaises et toujours dirigée depuis Paris. Mais se pose aussi une question de volonté et de choix quant à la stratégie de l’entreprise : Suez n’a jamais voulu se limiter à une entreprise égyptienne comme le prévoient ses statuts ; elle se définit comme une entreprise commerciale internationale. Cette attitude se traduit jusque dans le paysage : la Compagnie prend très vite l’allure d’une société coloniale, sorte de citadelle fermée sur l’extérieur. Toutefois, cette situation mérite d’être nuancée en raison de l’ampleur de son action sociale et de l’aménagement de la région. Aussi peut-on affirmer que la concession de Suez a représenté un moyen de développement de la région et de diffusion technique, mais ceci n’a pu se faire que grâce à la pression et au contrôle exercés par l’autorité concédante à partir des années trente.
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